Par Jacky Dahomay
Le récit ahurissant fait par un enseignant du Gers concernant l'intrusion dans sa classe de gendarmes et d'un chien, m'a littéralement bouleversé. Et j'ai pleuré. De rage bien entendu. Je suis un vieil enseignant, à la veille de la retraite.
Ce métier a été ma seule vocation. Je me suis toujours tenu pour le seul maître dans ma classe après Dieu (s'il existe bien entendu!) et personne n'y entre sans mon autorisation, ni chef d'établissement, ni inspecteur, ni ministre et, a fortiori, ni gendarme ni chien. Impossible! A moins d'un cas de force majeure grave que le chef d'établissement devra m'expliquer au préalable.
Je le dis donc tout net: si une telle chose m'arrivait, je donnerais l'ordre aux élèves de désobéir. Telle est mon éthique de professeur. J'estime ma mission d'enseignant plus haute que ma propre sécurité. L'école de la République vise aussi à former des citoyens incommodes.
En vérité, depuis quelques années, les enseignants s'accommodent de bien de choses inacceptables. Oublient-ils ce principe républicain qui veut que l'instruction publique vise aussi à former des citoyens
incommodes?
Comment en est-on arrivé là? Tout se passe aujourd'hui comme s'il y avait une redoutable confusion des rôles, des institutions comme de leurs fonctionnaires. De toute évidence, au niveau des responsables de l'Etat comme au sein de la population, il y a confusion entre l'espace public propre à l'école et d'autres formes d'espaces publics ou communs.
Or, l'école n'est pas publique au sens ou peuvent l'être les chemins de fer, les télécommunications ou la place du marché. Cela fait des années qu'on croit bien faire en ouvrant l'école sur l'extérieur. La rue y est rentrée, avec son lot de désagréments. Si la rue peut enrichir l'expérience, seule l'école donne une véritable instruction. Comment des vérités aussi élémentaires peuvent-t-elles avoir été oubliées?
Admettons qu'un policier ait toute légitimité pour procéder à des fouilles dans les aéroports et dans la rue (à condition bien sûr que cela ne s'adresse pas qu'aux basanés!): cela lui donne-t-il pour autant le droit de se substituer à l'autorité du maître dans sa classe?
On a souvent du mal à distinguer entre le maître qui impose une domination et le maître qui exerce un magistère. Et comme ce principe s'est perdu, le maître-chien, fût-il gendarme, se sent autorisé lui aussi à prendre la place de l'enseignant à l'école. Et quand un magistrat se permet de croire que la peur du gendarme introduite brutalement à l'école est ce qui préservera les élèves de la délinquance, on se demande, bien que n'étant pas Gaulois, si le ciel n'est pas tombé sur notre tête! La peur et la répression ont remplacé la mission éducative de l' école. Quel échec!
De la pratique quotidienne du massacre de citoyens.
Sait-on simplement que lorsque le chien et le gendarme se substituent à l'autorité du maître à l'école, c'est que les loups hurlent déjà aux portes de nos villes. Il s'ensuit en général un bruit de bottes sur les trottoirs. Mon cœur donc gronde de colère et qu'on le laisse faire! Il y a des moments où la raison raisonnante devient impuissante et laisse place à l'indignation. Toutefois, des chiens, préservons-nous de leur rage et de leur cynisme. J'emprunte cette expression "le cynisme des chiens" à Chateaubriand qui, dans ses "Mémoires d'outre-tombe", l'utilise pour qualifier les révolutionnaires qui, sous la Terreur, bons père de famille, emmenaient leurs enfants se promener le dimanche en prenant soin de leur montrer en passant le dada des charrettes qui conduisaient des citoyens à la guillotine. Le cynisme est dans la contradiction voulue et assumée opposant les grands principes humanitaires qu'on affiche et la pratique quotidienne du massacre de citoyens.
Aujourd'hui, nous avons affaire à une autre forme de cynisme. Dans le spectacle que donne à voir par exemple le Gouvernement actuel de la France. Le président, Nicolas Sarkozy le premier. Loin de moi l'idée de vouloir l'affilier à une quelconque gent canine. Mais son cynisme consiste à affirmer une chose et son contraire, à soutenir un ministre un jour, à le désavouer le lendemain, à parler constamment à la place de ses ministres.
Dans son agitation ultra médiatisée, il procède à une véritable désymbolisation constante des institutions de la république. Il y a bien là un travail d'affaiblissement de l'autorité de ces dernières.
Pour parodier Hannah Arendt, disons qu'il y a aussi perte d'autorité quand les adultes refusent d'assumer le monde dans lequel ils ont mis les enfants, les vouant ainsi à une culture de la violence.
Le refus de l'éducation est l'étalage de la répression et le culte de la sécurité. On croit que la sécurité n'est qu'une affaire de police alors qu'elle réside avant tout dans le contrat liant les citoyens, contrat implicite et symbolique comme sortie de l'état de nature. C'est ce refus de l'éducation qui pousse à vouloir incarcérer des enfants de douze ans. Reste maintenant à obliger des psychiatres à inventer une substance antiviolence qu'on inoculerait aux femmes enceintes, sans leur consentement bien entendu.
Insidieusement se met en place une forme de totalitarisme forcément inédite.
Tout cela est grave, très grave. La démocratie ne fait pas toute la légitimité d'une république. Un pouvoir tyrannique peut se mettre en place démocratiquement. L'histoire, comme on sait, ne se répète pas et les formes de totalitarisme à venir sont forcément inédites.
Nous sentons bien qu'une nouvelle sorte de régime politique,insidieusement, se met en place. Quand, à l'heure du laitier, unjournaliste est brutalement interpelé chez lui, devant ses enfants; quand des enfants innocents sont arrachés de l'école et renvoyés dans leur pays d'origine; quand une association caritative est condamnée à de lourdes amendes pour être venue en aide aux sans abris; quand… Même si nous n'avons pas encore tous les éléments théoriques permettant de penser ce régime inédit, il se "présentifie" déjà avec des signes certains de la monstruosité. Face à tout cela, le PS, principal parti d'opposition, se déchire lamentablement. L'heure serait-elle venue,pour nous enseignants du moins, d'entrer dans la désobéissance civile?
Je ne parle peut-être pas d'outre tombe mais je suis d'outre-mer.
Comme beaucoup d'Antillais, j'ai aimé une certaine France malgré l'esclavage et la colonisation, malgré Vichy et la collaboration. Cette France qui à deux reprises, a su abolir l'esclavage, celle qu'on
a cru ouverte aux Droits de l'homme et aux valeurs universelles. Celle dont l'école, malgré ses aspects aliénants pour nous, a su donner le sens de la révolte à un Césaire ou à un Fanon.
Qu'il faille dépoussiérer cette vielle école républicaine ne signifie pas qu'on doive la jeter avec l'eau du bain. Est aussi à réviser cette identité républicaine hypocrite qui a du mal à s'ouvrir à la diversité.
Et quand on constate que monsieur Brice Hortefeux, ministre de cet affreux ministère de "l'Intégration, de l'identité nationale et de l'immigration", aux relents franchement vichyssois, se permet de réunir, à Vichy précisément, les ministres européens chargés des questions d'immigration, on peut légitimement penser qu'il y a là une continuité conservatrice inquiétante.
Ce ministre rend visite le 10 décembre au Haut conseil à l'Intégration. Je n'y serai pas. J'annonce ici publiquement ma démission du HCI. Cette France qui vient ou qui se met en place sournoisement, je ne l'aime pas. Devrions-nous alors, d'outre-mer, faire dissidence? Je ne sais pas. Ce qui est sûr en tout cas, c'est que la plus grave erreur serait de se dire, comme à l'accoutumée que les chiens aboient et que la caravane passe.
Jacky Dahomay est professeur de philosophie à la Guadeloupe et démissionnaire du Haut conseil à l'Intégration.
.....Merci Monsieur Dahomay, de vous lire m'a fait citoyennement du bien....
Typepad m'a tiré dans le dos Isa. J'étais persuadé d'avoir envoyé un com quand ton article est sorti.
Bref, je disais en substance que j'étais d'accord avec M. Dahomey, en tout cas sur le début. Je pense que l'enseignant avait là une occasion rêvée de s'opposer aux Gendarmes sans risquer grand chose finalement.
Bref il a loupé son 18 juin, face à un principal qui, opportuniste, a pris toute la mesure du foin suscité par cette affaire et s'est livré à un remarquable salto-arrière en se disant floué par les gendarmes.
Ceci étant, si les choses se sont passées telles qu'elles ont été relatées, oui, ils s'y sont pris comme des manches. Et je ne doute pas que Mme Alliot-Marie a du le leur faire savoir via le commandement.
Après, il ne faut pas pousser non plus grand mère dans les orties, même s'il est exact que le balancier est parti du côté d'une ligne répressive et conservatrice qui n'est à mon sens que de l'affichage politique.
La crise va bouleverser tout ça. On en reparle dans deux ans ?
Rédigé par : Marcus | 17 décembre 2008 à 22:26
Je tiens a vous remercier pour cet article qui a fait trembler mon jeune cœur de citoyen.
Ce gouvernement, cette république comme cette volonté citoyenne française inexistante me débectent, comment dans ce grand pays républicain qu'est le notre de telle choses peuvent arriver? Les citoyens français sont majoritairement responsables de ce déclin, il n'est ici aucunement question de M.Sarkozy ou de l'opposition de gauche présente en France mais bien de toute la citoyenneté francaise.
Cette citoyenneté qui a fait de moi une personne si fière et a la fois si honteuse, cette citoyenneté qui pendant toute son histoire a traversée toutes sortes de périodes de répression, d'anéantissement de son identité mais surtout de révolte!
Car notre identité française est avant tout basée sur notre capacité de révolte et notre volonté d'atteindre cette chimère qu'est l'idéal démocratique. Mais ma grande peur est que cette identité sois aujourd'hui en train de disparaitre, sous les coups répétés de la répression et de l'ignorance de la colère française. Le fatalisme nous a atteint!
Qu'allons nous faire? Laisser ce mutisme qui a bien l'air d'être devenu le langage français se propager? Ou pouvons nous revenir a nos valeurs et faire trembler cette république qui ne correspond plus a aucun de nous?
En aucun cas je n'appelle a la révolution et a la destruction de ces institutions qui nous construisent, mais plutot a un réveil, a un soubresaut de notre conscience pour nous rappeller que nos valeurs et notre identité francaise sont bien plus importantes que l'augmentation de notre pouvoir d'achat ou que la supression du pouvoir capitaliste.
Notre devoir et notre défi est aujourd'hui de défendre non plus les intérêts de telles ou telles partie de notre civilisation mais bien de défendre notre civilisation toute entière.
Car sans une identités et des valeurs fortes et défendus par l'ensemble de la population qu'es ce qu'une nation?
Rédigé par : Nathan duval | 30 décembre 2008 à 02:19
@Nathan:
merci pour votre commentaire citoyen. Je partage votre analyse.
Si vous avez un blog dites-moi et je viendrai assurément y faire un tour.
Je vous souhaite avec un peu d'avance une très belle année 2009.
Isabelle
Rédigé par : label isa | 30 décembre 2008 à 11:36